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Détruisons le travail (Alfredo M. Bonanno)

« Parler de destruction du travail semble simple. Mais il n’y a rien de plus difficile que de parler de destruction. Parce qu’en nous tous, au fond de notre conscience, il y a la peur de l’avenir. Parlons clairement : révolutionnaires ou pas, il y a toujours la peur de l’avenir. Car la peur de l’avenir, c’est la peur de la mort, car la mort viendra évidemment à notre rencontre depuis l’avenir. Ils sont frère et sœur. »

Nous ne sommes pas intéressés par les préoccupations politiques de ceux qui considèrent le chômage comme un danger pour l’ordre et la démocratie. Nous ne sommes pas non plus concernés par la nostalgie du manque de professionnalisme. Nous sommes encore moins enthousiasmés par les réformateurs du travail à la chaîne ou du travail intellectuel régi par la planification industrielle avancée. De même, nous ne sommes pas concernés par l’abolition du travail ou sa réduction à un minimum tolérable dans une vie ainsi imaginée pleine et heureuse. Derrière tout cela il y a toujours les griffes de ceux qui veulent organiser notre existence, penser pour nous ou nous suggérer poliment de penser comme eux.
Nous sommes pour la destruction du travail. Procédons dans l’ordre : notre position est totalement différente et c’est ce que nous tenterons d’expliquer.

Sommaire:
Avant-propos
Détruisons le travail
La destruction du travail (transcription de deux conférences à Athènes en 2009)
S’il vous plaît, restons les pieds sur terre
Post-face

90 pages // 3 euros

À main armée (Alfredo M. Bonanno)

« Au fond, le problème est toujours celui-ci : personne ne nous fait des cadeaux, il n’existe pas de conditions faciles pour s’approprier les connaissances indispensables à l’action. penser l’arme seulement dans la dimension technique de son emploi, c’est une façon comme une autre de fuir le problème de fond de la connaissance critique, la mesure et la condition active de toute attaque contre l’ennemi de classe.

À main armée, c’est donc un problème de réflexion, un mouvement de la conscience, un moment, même extrêmement concentré dans le temps, où celui qui prend l’arme cherche à comprendre pourquoi il a choisi cette prothèse d’une violence et d’une agressivité particulières. »

Avril 2020 // 180 pages // 4 euros

Sommaire

Avant-propos
Clément Duval et le problème du vol
La fracture morale
Malatesta et le concept de la violence révolutionnaire
Alexandre Marius Jacob
L’ombre du justicier
Makhno et la question de l’organisation
Mourir innocents est plus enrageant
La bête insaisissable

 

Un extrait de l’avant-propos:

La véritable arme de l’homme, c’est la main.
L’homme est un animal que la nature a sélectionné avec une main qui a le pouce opposé aux autres doigts.
Un animal qui attrape, qui veut prendre, avoir du solide en main, faire sien.
L’arme, dans sa signification essentielle, est donc la prothèse qui augmente la capacité active de la main. En grec, « prothèse » signifie l’acte de mettre en avant. Quand on y pense bien, depuis les flèches dont les pointes étaient faites de morceaux de silex appointés, utilisées par nos lointains prédécesseurs, jusqu’aux armes sophistiquées d’aujourd’hui qui frappent à distance et multiplient par milliers la cible unique d’antan, le fil du développement technologique est unitaire et ininterrompu.
Se servir d’une arme est facile. Aussi l’imbécile peut donc s’armer. Plus encore, dans la majorité des cas, derrière l’arme se trouve presque toujours un imbécile, ou au moins quelqu’un qui y est contraint le dos au mur.
La société produit une marginalisation constante, son mécanisme impitoyablement compétitif pousse vers l’extrême périphérie de la survie une énorme quantité de personnes.
Le manque de travail n’est qu’une partie du problème, souvent c’est un lieu commun et un alibi.
Celui qui n’a pas de travail, s’arrange de quelque façon, réduit ses prétentions, réduit à l’essentiel sa demande de biens, se construit une niche dans la société qui, dans ce cas-là, est même prête à venir à sa rescousse, à l’aider avec une quelconque allocation misérable, mais elle veut toujours d’abord s’assurer de sa disponibilité de rester dans les rangs.
Le travail peut aussi consister à prendre des armes. Pensez au militaire, au policier, au garde du corps, ce sont des métiers où l’usage des armes est institutionnalisé et où l’on prévoit même une prime de risque en plus du salaire de base.
Celui qui le matin endosse l’uniforme, n’importe quel uniforme, qui met son arme dans sa poche et prend sa mitraillette de service, ne s’encombre pas de la moindre réflexion, ce sont des mouvements conditionnés, son métier a fait taire tout réflexe moral que son geste pourrait encore avoir à la lumière d’une petite réflexion.
À main armée, c’est donc un problème de réflexion, un mouvement de la conscience, un moment, même extrêmement concentré dans le temps, où celui qui prend l’arme cherche à comprendre pourquoi il a choisi cette prothèse d’une violence et d’une agressivité particulières.
Revenant à la question des prothèses, il me semble évident que même dans le choix le plus argumenté, il peut encore rester un brin de stupidité. Il n’y a jamais de collocation nette dans ce genre de choses. Rien n’est blanc ou noir. La vie est nuance et modulation, y compris dans la stupidité.
J’ai connu des compagnons dont j’appréciais la disponibilité humaine et l’engagement révolutionnaire, qui manipulaient avec une voluptueuse précision et une évidente satisfaction une arme, qui en caressaient l’acier brunâtre et lisse, qui en admiraient la structure et la puissance, un genre d’imbécillité plus répandu de ce que l’on pourrait croire, y compris parmi les compagnons.
Donc, entre la main qui serre l’arme et l’arme qui est serrée par la main, par la main qui l’accueille et la maîtrise, il doit y avoir un contact, une sorte de frontière psychologique, toujours présente dans la conscience de l’individu qui empoigne une arme, qui a décidé d’empoigner une arme.

Alfredo M. Bonanno

 

Anarchisme et insurrection (Alfredo M. Bonanno)

« Tirer le premier, le plus vite, est une vertu du Far West qui peut être utile à certains moments, mais il faut savoir utiliser sa tête avant, et utiliser sa tête signifie avoir un projet. L’anarchiste ne peut pas se contenter d’être un rebelle, il est un rebelle muni d’un projet. Il Va Donc devoir unir le cœur et le courage à la connaissance et l’ingéniosité de l’action. Ses décisions seront éclairées par le feu de la destruction, et alimentées dans le foyer permanent de l’analyse critique. »

Certains mythes qui continuent à hanter les révolutionnaires, doivent être démolis de toute urgence si nous ne voulons pas nous contenter de simplement chérir l’idée de la liberté. Ne craindre ni les ruines, ni le bouleversement total de l’existant, ne pas nous leurrer dans l’attente d’une prise de conscience généralisée ou d’une participation à des luttes enfermées dans la logique du pouvoir. C’est là que surgit la question de l’insurrection.

[Réédition de « Qui a peur de l’insurrection?« , ed. Tumult, 2012, épuisé]

mars 2020
176 pages – 4 euros

Voici l’avant-propos de l’éditeur

AVANT-PROPOS

Certes, la force subversive des désirs et des rêves ne peut pas être négligée. Personne ne peut souhaiter le bouleversement total de ce monde d’exploitation et de domination, simplement parce qu’il a faim. L’être humain et la liberté sont des choses bien plus complexes, qui ne peuvent se réduire à des questions d’estomac. Mais certains de ces mythes soutenus et nourris par l’histoire révolutionnaire, doivent être démolis de toute urgence si nous ne voulons pas nous contenter de chérir ces désirs, si nous voulons vraiment détruire l’existant. Ne craindre ni les ruines, ni la révolution sociale, ne pas nous leurrer dans l’attente d’une prise de conscience généralisée ou la participation à des luttes enfermées dans la logique du pouvoir. C’est là que surgit la question de l’insurrection : ces tentatives d’attaque contre le pouvoir, qui ne correspondent pas, pour autant, aux caractéristiques d’une véritable révolution sociale. Car attendre le « Grand Soir », attendre l’organisation des masses exploitées, attendre que la classe entière prenne conscience d’elle-même, nous éloigne plus que jamais de véritables perspectives pour lutter et attaquer.
Il n’est pas question ici, de prétendre qu’un certain nombre d’insurrections suffiraient à provoquer la grande subversion des rapports sociaux qu’est la révolution sociale ; l’histoire ne fonctionne pas avec des schémas additifs et une progression linéaire. Par contre, sans ruptures violentes, sans interruptions brutales de la reproduction des rôles sociaux de la domination, aucune transformation sociale n’est envisageable. Il s’agit alors de chercher, de comprendre et d’agir sur les terrains et dans les contextes qui nous permettent d’entrevoir la possibilité de telles ruptures. Il faut plus que de la bonne volonté ou de l’enthousiasme pour se préparer à l’insurrection, pour préparer l’insurrection. La question est complexe, sans cesse renouvelée, jamais résolue. Il s’agit d’appréhender un ensemble d’idées à approfondir, d’analyses à étendre, de méthodes à affiner ; bref, c’est une question de projectualité.
L’image idyllique et romantique de l’insurrection avec ses barricades, son peuple en armes, ses drapeaux et son ciel sans nuages relève bien sûr de ces mythes qu’il nous faut démolir. Les choses ne sont pas comme ça et ne le seront sans doute jamais plus. La conflictualité sociale est aujourd’hui confuse, mais parfois furieuse ; désespérée, mais parfois très destructrice ; diffuse, mais rattrapée en permanence par l’aliénation. Mais, c’est dans ce contexte, dans cet environnement toujours plus empoisonné, contrôlé et structuré par la domination et ses technologies, c’est avec cette population toujours plus aliénée et mutilée, toujours plus démunie de moyens d’expressions et de dialogue, qu’il nous faut élaborer ces projectualités insurrectionnelles. Et cela, sans aucune garantie de succès.
Mais chaque tentative a des conséquences qui vont bien au-delà du visible et palpable. Il ne s’agit pas d’entretenir un nouveau mythe, mais de promouvoir les expériences d’auto-organisation et d’attaque des individus qui s’insurgent contre le pouvoir, au-delà du temps et de l’espace de la domination — dans le cœur, le corps et le cerveau des gens. Seules ces expériences-là nous permettent d’espérer — ou mieux, de rendre possible — la pratique de la liberté.
Le projet insurrectionnel nous invite à nous débarrasser de l’un de ces grands mythes, qui réduirait la transformation sociale à une question quantitative. Le nombre suffirait à changer les choses et à transformer les rapports sociaux, la subversion serait une simple question de statistiques d’adhérents ou de dégâts occasionnés. Non, les choses ne sont pas comme cela, et elles ne l’ont jamais été. L’action révolutionnaire se situe dans un autre champ, celui de la qualité ; il s’agit de tendre vers des ruptures insurrectionnelles, qui feront surgir et pénétrer cette qualité dans la réalité de la domination. La critique explicite de la logique quantitative ne revient pas à prétendre que l’insurrection ne saurait être l’œuvre que de quelques poignées de révolutionnaires illuminés ; mais l’insurrection ne peut pas être envisagée comme un jeu de comptables, l’action minoritaire y joue un rôle déterminant. C’est pour cela aussi qu’aujourd’hui, les quelques poignées de révolutionnaires que nous sommes peuvent y réfléchir, s’y préparer et y contribuer.

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Théorie et pratique ne peuvent pas être séparées, elles se confondent, s’influencent et se nourrissent réciproquement. Car la théorie ne peut pas avoir comme seul but de décrire la réalité, elle doit aussi être capable d’en tirer des perspectives, même provisoires et toujours incomplètes. Une perspective révolutionnaire ne peut jamais se résumer au simple résultat d’une somme de suppositions et de constats théoriques, elle rassemble toujours l’idée et l’action dans un ensemble plus ou moins cohérent. Les textes réunis dans ce livre sont nés justement de cette interaction. Il ne s’agit ni de modèles pour le futur, ni de recettes applicables à n’importe quelle situation, mais surtout de suggestions méthodologiques pour des compagnons qui veulent intervenir et contribuer à des ruptures insurrectionnelles. Le terme souvent vilipendé d’ « insurrectionalisme » renvoie donc tout simplement vers l’arsenal méthodologique dont disposent les anarchistes aujourd’hui pour contribuer à la création de conditions qui rendent l’insurrection possible. Les textes proposés ici constituent ainsi les fragments d’une recherche incessante s’efforçant d’analyser, de proposer, de critiquer cet arsenal. Cette recherche ne saurait se contenter ni de ce qui est, ni de réflexions théoriques déjà formulées, ni même d’expériences réalisées, elle doit continuer.
Les réflexions sur les méthodologies insurrectionnelles ne peuvent pas être séparées de l’élaboration d’un projet. Par projet, nous entendons l’ensemble toujours provisoire d’idées, d’analyses et de méthodes qui ciblent, qui sont projetés vers l’avenir. On ne peut certes pas prétendre que tous les anarchistes ont nécessairement un projet. Au contraire, les compagnons qui cherchent à élaborer un projet sont souvent une très petite minorité. Mais selon nous, c’est justement dans le projet que le faire peut devenir agir. L’élaboration et le développement d’un projet de lutte permet d’aller bien plus loin que la simple proclamation de notre anarchisme et les ondulations sur les vagues de la conflictualité sociale. Dire et expliquer que nous sommes anarchistes, que nous pensons ceci et cela sur tout et n’importe quoi ; se réunir dans un quelconque local, publier notre journal et assouvir notre indignation et notre colère de temps à autres sur une quelconque cible choisie au hasard, est très beau et peut-être parfois même agréable. Mais le développement de perspectives révolutionnaires et insurrectionnelles exige bien d’autres choses. Ces perspectives, aujourd’hui indispensables, ne peuvent naître que de projets de lutte, d’initiatives, si modestes qu’elles soient, qui cherchent à agir de façon cohérente sur la réalité de la domination.
On peut comprendre les réticences récurrentes face à de telles questions. De fait, nombre d’entre nous aimeraient que notre existence même, notre anarchisme, suffise, par la voie de l’exemple et de la prise de conscience, à subvertir les rapports de la domination. Lorsque les exploités ne nous « suivent » pas, nous voilà déçus à en devenir cyniques ; et si une partie d’entre eux s’enflamme, il nous est difficile de nous reconnaître dans leurs motivations supposées et nous nous sentons démunis face aux possibilités. Les réflexions proposées dans ce livre pourraient offrir quelques pistes pour sortir de ces impasses. Trouver des bases plus solides pour affronter la domination, mettre sur pied un projet de lutte, prendre l’initiative, même si les conditions sont loin d’être idéales, penser la révolte et l’insurrection dans des termes moins habituels… autant de suggestions pour trouver des angles d’attaque sur nos parcours. Car si l’on convient que tout ne peut pas dépendre de la bonne volonté, des bonnes intentions, de la spontanéité et des conditions historiques, certaines pistes de réflexion peuvent nous aider à construire quelques repères dans la mêlée. Et nous espérons alors que ceux qui, sur leurs parcours de développement d’idées et de révolte, ressentent le besoin et le désir de plus d’approfondissement, d’une compréhension plus précise des méthodes anarchistes pour engager la lutte, trouveront un intérêt à ces considérations.

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A la fin des années 70, il devient clair, du moins en Italie mais aussi dans d’autres pays, que le soi-disant « deuxième assaut prolétaire au ciel » touche à sa fin. Tandis que l’Etat invite et incite de nombreux révolutionnaires à déposer les armes, avec des milliers de prisonniers comme monnaie d’échange, les restructurations au sein de la domination endiguent toujours plus la conflictualité sociale diffuse. Dans ces temps de reflux, certains compagnons anarchistes tentent d’élaborer de nouvelles perspectives combatives qui ne suivent pas le compromis démocratique, la « fin déclarée de la guerre contre l’Etat », la fin supposée « de la possibilité de lutte radicale ». Mais cette possibilité de nouvelles perspectives exige aussi un retour critique sur les années précédentes. Tandis que de nombreuses personnes tentent de se servir de la « défaite » des fractions armées pour enterrer toute possibilité de lutte radicale, d’autres essayent, dans une revue comme Anarchismo et ensuite, dans un journal comme Provocazione, de formuler une critique de la logique du parti armé sans balayer la nécessité de l’attaque destructrice. Des expériences sont faites avec des luttes « à la périphérie » : des luttes contre un aspect concret de la domination, sans perdre de vue la totalité des idées révolutionnaires, sans sombrer dans la politique, des luttes à caractère insurrectionnel. Dans certaines de ces luttes2, on expérimente le développement de propositions organisationnelles avec tous ceux qui veulent lutter sur une base d’auto-organisation, d’attaque et de conflictualité permanente ; dans d’autres cas, l’accent est mis davantage sur la possibilité d’attaques modestes et facilement reproductibles contre les structures diffuses et périphériques de la domination.
Le projet insurrectionnel partait donc, dans son développement permanent aussi bien sur un plan plus théorique que plus pratique, d’une critique des expériences passées et d’analyses des nouvelles formes de la domination. Au lieu de penser la lutte comme un affrontement symétrique, où deux blocs bien délimités s’opposent et où la logique quantitative domine, on approfondissait le concept de structures informelles n’ayant pas pour but de représenter toujours plus d’exploités ni de réunir un maximum d’anarchistes et de révolutionnaires autour d’un programme, mais mettant l’accent sur la qualité de l’affrontement avec la domination, sur des ruptures, fussent-elles temporaires et limitées, avec l’espace/temps de la domination. Face aux « organisations anarchistes de synthèse », comme des fédérations, qui fonctionnent autour d’une déclaration de principes et de congrès périodiques, on proposait d’ancrer les aspects organisationnels directement dans la lutte en cours. Au lieu de grandes structures, on proposait de s’organiser sur une base affinitaire, en petits groupes agiles, avec un parcours autonome en pensées et en actes, qui pouvaient donner lieu, autour d’un projet spécifique de lutte, à une coordination ou une organisation informelle.
Mais la question ne concerne pas seulement « l’intérieur » du mouvement anarchiste, mais aussi la façon dont les anarchistes peuvent développer des luttes avec d’autres exploités. En ce sens, des expériences ont été faites, d’une qualité autre que celle des modèles précédents, comme l’anarchosyndicalisme ou les fédérations : la formation et la construction de structures de base insurrectionnelles, vouées à la destruction d’un aspect concret de la domination. Structures dont on n’attend pas qu’elles se perpétuent dans le temps, qui ne sont pas orientées vers la défense des intérêts d’un certain groupe social ou d’une classe, mais qui sont des propositions organisationnelles pour passer à l’attaque. Quoique ces structures aient évidemment un aspect quantitatif, elles sont dans un certain sens peut-être plus des points de référence pour une certaine lutte, des points de référence pour une certaine façon de concevoir la lutte.

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Appelons un chat un chat. Malgré de nombreuses années de développement et d’approfondissement du projet insurrectionnel, bien des compagnons en ont fait une caricature pour plus facilement prendre leurs distances. D’autres sont entrés en contact avec certaines idées et pratiques et ont décidé que « l’insurrectionnalisme » était la voie à suivre parce que ses formes sont radicales et qu’on y refuse le compromis et la remise de l’attaque. Sans vouloir prétendre qu’il n’existerait qu’une interprétation à respecter, de nombreuses incohérences et approximations nous sautent aux yeux. L’affinité est considérée comme identité, c’est-à-dire, la fusion complète entre l’un et l’autre, produisant inévitablement de l’idéologie, ou sinon comme autre mot pour sympathique, générant plutôt un milieu libertaire avec ses écueils que des groupes affinitaires anarchistes. Le refus de l’attente est confondu avec un refus de réfléchir sur les perspectives et l’élaboration de projets. L’organisation informelle est confondue avec des simulacres des organisations combattantes du passé avec leur série de sigles et de communiqués. Mais il ne sert à rien de crier pour des sourds.
Face à la confusion consciente ou inconsciente, un livre ne peut pas faire grand-chose, à part proposer d’autres pistes, d’autres angles de réflexions. Peu d’individus sont en effet capables de se regarder eux-mêmes droit dans les yeux et de soumettre leurs propres suppositions et pratiques à une analyse critique, et encore moins leurs a priori tellement confortables. Quelle meilleure justification pour l’éternelle répétition de la même chanson ? Publier un livre comme celui-ci n’a pas d’autre intention que de contribuer à ouvrir des espaces de débat et de discussion.
Certains compagnons ont exprimé leur préoccupation que ce livre puisse être pris comme une sorte de manuel, un livre de recettes pour dépasser leurs propres limites et insatisfactions. S’il est vrai que ces textes sont des fragments d’un parcours de recherche et se retrouvent réunis aujourd’hui dans un seul livre, nous comptons davantage sur l’esprit critique de ceux qui y chercheront des pistes pour approfondir leurs idées et en découvrir d’autres ; pour démolir les lieux-communs qui tendent à remplacer l’effort de réflexion individuelle. Il est aisé d’imaginer que le langage utilisé dans certains textes, plus ou moins courant à une époque, ne facilite pas forcément la compréhension, voire risque de provoquer un rejet préalable. Nous ne pouvons qu’espérer que chacun sache franchir ces éventuels obstacles pour creuser le fond. Les mots ne suffiront jamais à exprimer la vie et les pensées. Il faut chercher au-delà, et pour cela, un effort est indispensable.
Dans la recherche des façons d’intervenir dans la réalité de la conflictualité, nous ne pouvons nous contenter ni de modèles ou de recettes, ni des idéaux hérités des classiques de la subversion. Au-delà de la nécessité « d’étude permanente » sur tous les aspects de l’être et de la vie humaine, des capacités techniques et des instruments analytiques ; au-delà des approfondissements de nos idées et des visions de l’anarchie, l’approfondissement de l’anarchisme est nécessaire. L’anarchisme, compris comme la recherche théorique et pratique de méthodes, de perspectives et de manières pour avancer vers l’anarchie. Dans cette recherche, le projet et les méthodes insurrectionnels nous semblent ouvrir quelques chemins qui pourraient bien se révéler beaucoup plus adéquats à la réalité actuelle que d’autres méthodes. Cette intuition nous a poussés à publier ce recueil de textes. Cette même intuition qui nous pousse incessamment à explorer ces chemins, à les analyser et à les approfondir.