Anarchie autochtone en défense du sacré.
Il y a une raison qui a fait que les colonisateurs devinrent si furieusement effrayés par les chants et la Dance du Fantôme des peuples autochtones. Que leur médecine fut une telle menace. Bien que les champs aient été brûlés et les bisons massacrés, les envahisseurs savaient qu’ils ne pourraient jamais se battre contre la force de la nature. Que les peuples autochtones ne seraient pas complètement vaincus à moins que nos esprits soient coupés du sol sacré. Ainsi, les profanations ont précédé les massacres. Les esprits inébranlables de la terre et de nos ancêtres sont toujours vivants, ainsi que notre spiritualité, et des sites sacrés sont toujours attaqués à ce jour par des nouvelles mines, centrales photovoltaïques, oléoducs, lignes à haute tension, usines. Le génocide culturel et physique, la profanation de la Terre continuent sous le signe fatal d’une transition énergétique entamée par une civilisation au bord du précipice.
C’est seulement à Nahasdzáán, Notre Mère la Terre, que nous devons rendre des comptes et pour laquelle nous prenons nos responsabilités. Notre affinité est avec les montagnes, le vent, les fleuves, les arbres et autres êtres, nous ne serons jamais les patriotes d’un quelconque ordre social politique. En tant que force ingouvernable de la Nature, nous défendons, protégeons et prenons l’initiative de frapper.
446 p. // 14 euros // été 2024
Sommaire
TʼAALAʼI – ENRAGER EN BEAUTE
Enrager en beauté
L’illettrisme du colonialisme de peuplement
NAAKI – DEFENDRE LE SACRE
Défendre le sacré
Dook’o’oosłííd et les politiques de génocide culturel
Sous Standing Rock
Une existence profanée
La politique du pain frit
TAA’ – ATTENDEZ-VOUS A LA RESISTANCE
Action directe autochtone
Une solidarité décoloniale
Táala Hoghan
Pas d’allégeance
Voter n’est pas choisir le moindre mal
Déraciner le colonialisme
DÍÍʼ – ANARCHIE AUTOCHTONE
Covid-19, colonialisme de ressources et résistance autochtone
Inconnaissable : contre une théorie anarchiste autochtone
L’autonomie sacrée
Vers le néant colonial : la destruction du colon est une cérémonie
Extrait de l’introduction
Yáát’ééh shik’éi dóó shidine’é, Shi éi Klee Benally yinishyé, Todichiini bashishchiin, Nakai Diné’ dashinalí, shí ma éí bilagaana ado bilagaana dashicheii. Ákót’éego diné nishłį́. Dził Yijiin déé’naashá ndi Kinłani kééhasht’į́.
Ce livre est le fruit d’une tension entre l’expérience vécue et les enseignements culturels. L’écrire a été un tourment et une joie fanatique. Ce processus a été un conflit entre les défis et les bénédictions de mon éducation par le biais de la cérémonie, et les antagonismes pernicieux de l’enseignement académique et des politiques gauchistes qui m’ont conduit à ce que j’ai adopté, avec des réserves, comme antipolitique anticoloniale.
En écrivant et repensant mon travail précédent et mon évolution (ou désintégration), je me suis rendu compte combien – très probablement grâce à une leçon transmise par certains de mes aînés – j’avais résisté à l’attraction vers un point fixe. Vous me trouverez intentionnellement belliqueux et évasif ici et là. Je ne m’excuse ni pour l’un ni pour l’autre. Ce que j’ai appris de la vie, je l’ai appris par la cérémonie. Ce que j’ai appris de la politique, je l’ai appris de beaucoup de violences politiques et en m’organisant pour intervenir par des moyens aussi bien réactifs que proactifs. J’ai tendance à dériver loin des textes de Terre brûlée du terrain universitaire. Si mes conclusions de cette expérience vous frustrent (ce dont j’avais anticipé que ce serait le cas pour beaucoup), je suggère que vous accumuliez tout ce que vous pourrez recueillir en consultant vos aînés, en participant à des cérémonies, et en examinant d’un œil critique les échecs de l’activisme progressiste, ce qui serait tout aussi utile – si ce n’est plus. Certains s’empresseront de qualifier ce livre d’ « ethnocentrique » mais ce n’est que de la paresse. Vous ne trouverez ici aucune proposition ou hypothèse de supériorité ethnique. Je suis métis, élevé par Tádídíín K’eh Atiin et j’ai beaucoup d’expériences pratiques dans les luttes en première ligne sur des terres sacrées, en nommant ce qui est merdique dans ce monde de mon point de vue amer (je suis né pour le clan Tódích’íí’nii, l’Eau Amère, après tout).
Ce livre est devenu un peu plus autobiographique que je ne le voulais au départ, ce qui est étrange car j’ai généralement un léger dédain pour ce genre d’histoires. En écrivant ceci, je n’arrêtais pas de réfléchir à certaines expériences qu’il me semblait judicieux de faire connaitre, qu’elles soient bonnes, mauvaises ou entre les deux. En relisant des textes qui m’avaient inspiré à un moment de ma vie, en parcourant des vieilles brochures, et les nouvelles polémiques en ligne ou pas, et en analysant mon évolution en tant qu’antagoniste et écrivain, il m’est difficile de ne pas remarquer à quel point les contradictions de ces textes ressortent encore plus. J’essaie d’aller à ce qui compte, d’accepter les imperfections – et probablement, je ne prends pas certaines choses aussi au sérieux que vous pourriez en les lisant.
Vous trouverez des répétitions et des incohérences dans le texte, surtout dans les passages écrits au cours de différentes périodes de ma vie, et de l’évolution qui s’en est suivie. J’ai amélioré certains passages déjà écrits, laissé d’autres intacts et ajouté quelques notes. Il y a aussi des passages où je passe du je au nous – pour la plupart à cause du contexte, mais je n’ai jamais beaucoup aimé le « je ». « Nous » m’a toujours semblé plus approprié pour inviter, et certains passages ont été écrits collectivement. Je vous invite aussi à lire cet ouvrage de façon non linéaire (dans l’ordre et dans le désordre).
Je parle du sacré, mais je suis mesuré dans ce que je partage, ainsi vous ne trouverez pas d’ « exploration du savoir spirituel Diné ». J’ai été élevé avec le sentiment que ce savoir sacré ne devrait pas être livré à des pages, des mots, des enregistrements, et ne devrait pas être traduit. Cela peut sembler contradictoire dans un livre sur la défense du sacré, et c’est le cas. Le désir de « faire partie du sacré » est un désir foireux du New Age anthropologique colonial. Les autopsies fétichistes de la profanation du sacré autochtone remplissent des étagères, des musées, des salles de vente aux enchères, des magasins de souvenirs – et des comptes en banque. Si vous comptez trouver ici une telle validation, je suis heureux de vous décevoir. Si vous avez lu ce livre et trouvé des moyens d’améliorer votre activisme, vous l’avez mal lu. Quand je parle de libération, ce n’est pas pour fomenter un énième projet de justice sociale, c’est une agitation inclusive et fervente contre la domination et l’exploitation de l’existant, car la libération de notre Mère la Terre, c’est la libération de tout ce qui existe.
Plus que toute autre chose, ce livre est pour toi, cher voyageur, à contre-courant du temps des colons, qui écoute les murmures des voix ancestrales et qui est déchiré dans l’espace entre le cauchemar et le rêve qui constitue cette existence maltraitée. En désirant quelque chose de plus, ou peut-être par inquiétude, curiosité, ennui ou quelque soit l’impulsion qui vous a mené à lire ces mots, nous y voilà.
Si vous êtes venu chercher des réponses, vous pourriez trouver un peu de taquinerie mêlée d’angoisse. J’ai écrit surtout dans cet espace profane et étroit entre l’invocation et la provocation, cet espace qui désoriente et où le processus de guérison vit aussi. Il s’agit d’une histoire dans et hors du temps, le long d’un chemin sur lequel je suis aussi un voyageur.
Asseyez-vous un moment, prenez du thé. Il faut que je m’occupe de tout un fatras – de mots maintenant cristallisés qui ont été un jour autant d’éclats de verre.
Klee Benally